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Pour vivre heureux, vivons cachés

Certains plaisirs échappent à la raison, ils sont inconséquents, et dévorent une énergie colossale, résultat d’un pari sur la jouissance plutôt que sur la raison. Qu’on se le dise, s’offrir une belle montre, ce n’est pas communier, en apparence, à la Prudence et à toute une foule de causes qui ont le vent en poupe.

 

Nous pouvons cependant nous désoler du fait que la montre de luxe est devenue, bien malgré elle, un signe bonne santé économique, d’opulence. Elle fait partie, avec le jet privé et la voiture de sport, de la panoplie de celui qui collectionne les millions. Du moins, c’est ce que certains veulent nous faire croire.

 

En réaction à de tels préjugés, l’industrie horlogère est malmenée, autrefois synonyme de bon goût, avoir une montre, désormais, c’est faire partie d’un gang de « winners » qui ont « réussi ». On se rappelle, encore une fois, pardonnez-nous, la sentence grotesque d’un publicitaire qui faisait rimer « 50 ans », « réussite » et « Rolex ».

 

Permettez-nous, avec beaucoup de prudence, de remettre les pendules à l’heure. Posséder une montre d’un grand horloger ne désigne pas les « vainqueurs », les « gagnants », mais plutôt un monde d’happy few avec ses codes, ses airs entendus, son goût pour le luxe feutré des bars à cocktails intimistes, pour les petits coins de paradis anonymes, pour les joies rares de la vie. Donc, par essence, le collectionneur qui traine ses souliers bien cirés d’une vente aux enchères à une soirée privée en l’honneur d’un modèle de montre convoité, ce collectionneur ne peut se résoudre sans un arrière-goût des plus désagréable, à étaler sans vergogne une montre-bracelet pas si bien ajustée, toute tremblante, maladroitement accroché à son poignet.

 

Alors oui, ce sont souvent ceux qui encensent le bon goût qui font les plus grosses fautes, et ceux qui posent des interdits qui les enfreignent à loisir. Mais, définitivement, c’est non, un boitier de collectionneur se laisse deviner sous la manche d’une chemise de fil à fil ou d’une veste de chasse un peu râpée, car ce bel objet est le fruit de recherches, de doutes, de remise en question, d’étude, de lecture, et finalement, d’un coup de tête inspiré.

 

On devrait goûter au plaisir de posséder une montre comme on déguste un bon vin : dans la cave de la propriété, un sourire aux lèvres, et sans arrière-pensée, puisque le beau geste est signe d’élégance, pour vivre heureux, avec sa montre, pourquoi ne pas vivre caché ?